Maurizio
Cucchi (Milan, 1945) est poète, romancier, critique littéraire et traducteur. Suite
à son premier recueil, Il disperso
(1976), salué par des écrivains aussi éloignés entre
eux que Giudici, Pasolini, Raboni, Fortini et Porta, il a publié nombre de recueils
parmi lesquels Glenn (1982), Poesia della fonte (1993), Vite pulviscolari (2009) et Malaspina (2013) - dont sont tirés les
textes ci-dessous - ont fait l’objet de différents prix. Avec Stefano Giovanardi, il est l’auteur de l’anthologie Poeti
italiani del secondo Novecento (1998).
L’âme solitaire qui tombe
sans plumes dans l’abîme
creusé…
Et donc je m’imagine être
lui,
consul ou capitaine en
cet
uniforme répugnant qu’il
portait, en ces
souliers vernis sans
chaussettes,
et dans une matière en
train
d’inexorablement
s’effriter,
s’émietter
sous le grand spectacle
du ciel gris sur les
usines
vidées, ou sur les
ruines,
pendant qu’il marche
incertain
dans son vain délabrement
fagoté.
*
* *
Comme soustrait à son
oubli,
par une sorte de machine
mordante,
le voilà, en dernier, et
même l’esprit
en lui vacille,
désormais. Il se traîne épuisé
en peignoir :
« Je prends garde toujours plus
avec une attentive
minutie à mon corps
dans ses pores, dans ses
plus petites ossifications
et dans les crevasses de
cette peau délicate,
de cette réalité, la
mienne, précieuse et pourtant
pelliculaire,
provisoire ». Et il palpait
prudemment, cette
grosseur, il se penchait
en regardant de sa porte-fenêtre
lumineuse le volcan,
pendu
à un rideau, à une
poignée,
avant de s’écrouler,
comme
une pauvre bête
agonisante.
* * *
Désormais il chutait à
pic dans le volcan
de sa terre et il avait
dans les oreilles
ce bruit de lave qui
déborde
horriblement en éruption,
ou peut-être
était-ce le monde
lui-même en explosion
définitive. Et il
tombait, à l’intérieur
d’une forêt, tombait… Il
hurla,
tout à coup, comme si les
arbres
se rapprochaient pour le
serrer,
penchés au-dessus de lui,
compatissants.
Et sur ce, quelqu’un,
avec un énorme rire
obscène,
lui lança dessus, tout au
fond du précipice,
un chien crevé.
Malaspina, Mondadori 2013
© les auteurs et Circe
1 commentaire:
Très beau, merci à vous ! Des textes lumineux et sombres, qui semblent conçus exprès pour votre nouvelle thématique de la "Disparition". Un vrai régal triste...
E.
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