porta

porta
Daniela Iaria, "Attraverso la porta bianca-fiume", 39x41 cm, 2004.

mercredi 7 octobre 2015

Edoardo Albinati


Écrivain et traducteur Edoardo Albinati (Rome, 1956) enseigne les Lettres italiennes à la prison de Rebibbia (voir en particulier Interviste). Il s'est fait connaître avec un roman précurseur, Il polacco lavatore di vetri (1989), d'où a été tiré un film. Il a été traduit en français par F. Caccia (prose) et J.-Ch. Vegliante (poèmes en prose) ; parmi ses livres de poésie, La comunione dei beni (Giunti 1995) et Sintassi italiana (Guanda 2001), dont nous avions présenté des traductions dans notre aperçu de la poésie italienne consacré au thème du paysage. Le texte ci-dessous est un inédit (l’original peut être consulté en cliquant sur le titre).   




Pendant que je tambourine sur le clavier luit à mon poignet
la Rolex acier et or de mon grand-père, le facho
suicidé. Les chiffres des heures sont presque illisibles.
Elle était attachée au sien, de poignet, quand il tomba
dans la cage d’escalier à la rampe noire
et endeuillée comme sa foi politique :
dont il incarnait, en fin de compte, sans vraiment y croire
avec une conviction rationnelle, les valeurs
pour une raison de nerfs, de sauts d’humeur
au fond de son cœur obscur et torturé.

Un vol de six étages. Personne ne vit rien, mais la chute,
elle, fut entendue dans tout l’immeuble.

Au choc dans le rez-de-chaussée sombre
se brisèrent les fragiles mécanismes
de la montre et les organes de l’homme qui la portait. 
Aujourd’hui un artisan âpre au gain, puisant dans une réserve
de pièces de rechange et petites roues hors commerce
l’a fait redémarrer, la Rolex, et me l’a rendue 
en tenant à la serrer en personne autour de mon poignet
comme le bracelet d’un forçat :  
et pendant que je travaille ses aiguilles veuves
tournent dans le cadran en y cherchant en vain
les traces des heures effacées.



(avril 2013 – inédit)   

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