Gianni D’Elia (Pesaro, 1953)
est poète, romancier, traducteur, critique littéraire et parolier. Il a fondé
et dirigé la revue Lengua (1982-1994)
née de la collaboration avec des poètes et des intellectuels comme Roberto Roversi,
Attilio Lolini, Katia Migliori et Stefano Arduini. Il a remporté le
prix Carducci en 1993 et le prix Brancati en 2007. Il a publié de nombreux recueils de
poèmes parmi lesquels Notte Privata
(Einaudi, 1993), Congedo della vecchia
Olivetti (Einaudi, 1996), Bassa
stagione (Einaudi, 2003) et Fiori del mare (Einaudi 2015) d’où sont tirés les poèmes ici traduits.
La Camène flaminienne
– Décennie après décennie,
déjà plus de deux mille
ans que nous avons vu
s’enfoncer,
de la Baie, qui en port se
profile,
la ville, disparue dans un
trou astral…
Là, où est le Phare, avec un
jeune scribe
sur sa tablette courbé à
rédiger
des vers en plein air, au delà du marais
nous entendîmes le tonnerre
et des hauts cris…
Du milieu de la côte, voilà
la grosse mer
remplir le gouffre en une
aspiration
engloutissant vivants,
bêtes, maisons,
temples, cabanes, rues, fortes
murailles…
La falaise tremblait en
rugissant,
glissait dans l’eau en mille
éboulements,
brisait le grès et le tuf séché
en mottes violentes, croûtons
de pain….
Lui il fut emporté, j’ai vu
tout
le village se poser au fond de
la mer,
sous le sol des siècles et
du deuil,
ce que jamais vous ne pensez
piétiner
quand vous venez vous
promener à la mer
la rive flaminienne, Camène
du flot…
La route de la mer
Je pense fort au film raté
de chacun,
quand le cinéma recommence
vivant
et comme sur un set claque
chaque clap,
ici, sous le Phare, qui
flashe aux brisants.
Je suis la route de la mer,
qui brillait,
quand l’an 2000 paraissait
un objet
tellement éloigné, comme ton
projet
de faire de moi un rivage
qui rimait…
Lueur lointaine d’une
planète froide,
et dieu sait quand on allait
y atterrir
alors que déjà a disparu
l’avion
qui nous propulsait d’un
millénium à l’autre…
La raison précède, mais la
douleur rend,
et ainsi on est arrivé
brusquement
aux derniers confins de
cette grande vague
qui nous a amenés au complet
naufrage…
L’aube rêve de toi sur la
douce berge
chère ville des jours
réduits en miettes
entre débris et éclats qui
ici abondent
en craquetant sous nos pas
qui ne sont plus,
et répandent comme un pleur
dans les ténèbres
la lampe rayonnante de
Palinure…
Oh, aucune musique plus que
la mer
ne peut calmer, bercer et
faire rêver,
où l’ombre glisse déjà dans le soleil
en gravant des personnes
contre la maille;
ici, sous les falaises et
les fumées
il y avait un autre âge, à présent sombré,
au milieu du grand débris
que crée le flux
au rythme saccadé, lointain
et profond…
Fiori del mare (Einaudi, 2015)
© les auteurs et CIRCE