porta

porta
Daniela Iaria, "Attraverso la porta bianca-fiume", 39x41 cm, 2004.

jeudi 3 juillet 2008

Paolo Bertolani

Paolo Bertolani, poète ligure (1931-2007), a forgé son écriture poétique dans le dialecte de son village natal, Serra de Lerici. Langue de l’origine, ce parler est ainsi langue de la mémoire, à travers laquelle il peut décrire la vie de la campagne et les paysages de sa région. Il ne délaisse pas pour autant l'italien, en poésie et en prose (I mótri, 1979, La grande settimana, 1999, Il vivaio, 2001) ; il a reçu le Prix Lerici Pea en 2002.
Parmi ses recueils : Le trombe di carta (1960), Incertezza dei bersagli (1976), Seinà (1985), E gòse, l’aia (1988), Itinerario del monte e degli amori (2002, correspondance en vers avec Francesco Bruno), Raità di neve (2005), Colpi di grazia (2006).



"Lettre de Bocca di Magra"


Il fallait bien la neige, l’alibi
d’une piste pour te fondre dans un
mot… qu’on n'attendait presque plus – et surtout
dans ce refuge que tu connais, dans ce point
précis d’eau partagée
entre fleuve et mer.

Loin ici d’évoquer
désormais opaques dans le temps
mes écoles sylvestres…
Des gens qui déboisaient,
des batteurs d’olives pour maîtres.
Leçons tranquilles, essentielles
(« tu l’entends ? C’est la grive,
la grive du froid »).
Loin ici d’évoquer, et invoquer
– écoutant la fine
coulée vers le cœur de terre rouge –
vallons, coteaux : ces terres de rien
que sont chez nous les vignes.
Ici j’existe, si j’existe, dans une bouillie indistincte.
Si j’existe, si je résiste, c’est seulement par le signe
des nerfs qui affleure dans mes mains ;
et ainsi, je ne saurais dire si c’est
une illusion des vitres, ou quelque
autre piège,
mais devant mes yeux, dans l’air de neige,
une apparition sur l’eau – cargo
ou torpilleur ? –
oscille et tombe le long du blême
fil du coucher du soleil…
À nouveau, tu vois ? même ici
les mots s’en vont dans l’air,
trop souvent une bêtise les trouble,
les aimer se fait toujours plus difficile,
rien que d’en espérer la simple fidélité est criminel… Mais
omissis… Oui, la neige.
De la tiédeur close, je l’observe
se former, ardue,
c’est cet air marin, quand j’y pense,
qui en effrite le dessin,
sa perfection d’étoile
et la neige, quand j’y pense, est peut-être
la côte éphémère dont naît le mythe,
l’alibi à placer contre le piège : comme ces
talismans dont tu parles – feuilles, galets
ou proues enchantées… Mais
plus immédiatement : n’est-ce pas seulement
en nous que le monde advient ?
Je m’obstine, comme tu vois,
encore dans mes paroles secrètes qui se mordent la queue,
pendant que le blanc redouble sur les hauteurs.
Peut-être que je me répète ? Bien, alors cela veut dire
que je me répète. Oh les mots de l’Ombre qui, vaste,
nous conduisait vers les noms dont la campagne est pleine…
Mais je parle d’années lointaines, et si je termine
cette lettre, c’est aussi à cause du tremblement
de mes mains qui s’accroît au souvenir.

Paolo

- - - - - - - - - - - - - - - de : Itinerari del monte e degli amori (2002)

© les auteurs et CIRCE

Paolo Bertolani

DIALECTALES...

Certains poètes présentés par CIRCE écrivent aussi dans leurs dialectes respectifs (langue ou dialecte, ici, ne fait aucune différence). Suivant quelques principes qui n'engagent – par contre – que moi, et dont on peut se faire une idée en allant dans notre site (page PUBLICATIONS, art. en ligne "Traduire, une pratique-théorie", avec un ex. d'application à E. De Signoribus), j'en propose ici des versions françaises. (J.c.V.)


'E pavaìne

Les canettes

Les canettes l'lancées
qui silencieuses glissent
sur le plan lisse de l'eau,
l'ombre dense qui vient
des arbres presqu'infinis dans l'vert :
draps pour nous recouvrir, nous qui sommes dessous...

Mais les canettes
et l'ombre
et l'eau tranquille
filent seulement à l'intérieur de moi
avec moi-même assis,
plus distant que la lune
de c'que j'ai dit - et de toi.

- Die, Diabasis 1998


(tr. du ligurien J.Ch. Vegliante)

© les auteurs et J.c.V.