Dès
son début en 1976 avec Somiglianze (Guanda),
Milo De Angelis (Milan, 1951) a exercé une large influence sur la nouvelle
poésie italienne. Ensuite
il a dirigé la revue “Niebo” (1977-1980) et publié six recueils : Millimetri (Einaudi, 1983), Terra del viso (Mondadori, 1985), Distante un padre (Mondadori, 1989), Biografia sommaria (Mondadori, 1999), Tema dell’addio (Mondadori, 2005, Prix
Viareggio), Quell’andarsene nel buio dei
cortili (Mondadori, 2010). Il est
rédacteur de la revue “Poesia” et actuellement un nouveau recueil va paraître
chez Mondadori. En français sont disponibles Ce que je raconte aux chaises (trad. A. Pilia et J. Demarcq,
Royaumont, 1989), L’océan autour de Milan
et autres poèmes (trad. J.-B. Para, Arcane 17, 1993), Thème de l’adieu (trad. P. Atzei et B. Casas, postface de J.
Demarcq, Nous, 2010). On présente un poème tiré de Biografia sommaria et dédié à Nadia Campana, une poète suicidée à
Milan en 1985, dont Milo De Angelis et Giovanni Turci ont publié le recueil
posthume Verso la mente en 1990 chez
Crocetti (2 éd. Raffaelli, 2014). D'autres poèmes ont été traduits dans "Siècle 21" (n. 25, automne-hiver 2014).
Papier muet
Papier muet
Maintenant tu le sais toi aussi
nous le savons
alors que nous sommes sur le point de renaître.
Franco Fortini
Nous entrons à présent dans
la dernière journée, dans la pharmacie
où son visage blanc et
sans paix ne répond pas au salut
du veilleur de nuit :
visage assoiffé, je ne peux le franchir,
c’est le même qu’un jour
j’appelai amour, ici
dans le brouillard de la
Comasina.
Nous marchons encore en
direction d’une vitre. Puis elle
jette dans une poubelle son
horaire et ses lunettes,
enlève son pull bleu
clair, me le tend silencieusement.
« Pourquoi fais-tu ça
? »
« Parce que je suis
ainsi », répond une forme dure de la voix,
une douleur qui ressemble
seulement à elle-même.
« Parce que je…
… ni prendre ni
laisser ». Arrivent des paroles
dans le sang, des yeux qui
heurtent contre le néon,
gelés, intelligents et
inconsolables,
des mains qui dessinent
sur la vitre l’ange gardien
et l’ange impartial, cinq
doigts serrés sur un fil,
l’idée portante du néant,
la gorge encore chaude.
« Vie, toi qui n’es
pas seulement vie et qui te mêles
à de nombreux êtres avant
de devenir nôtre…
…vie, c’est toi qui veux
lui donner
une fin glaciale, justement
ici où les années
se cherchent dans un mètre
d’asphalte… »
Interrompons l’anthologie
et la supplique du cœur battant.
Référons exactement
les faits et les paroles.
Cela,
cela m’est possible. À
trois heures du matin,
nous nous arrêtâmes devant
une buvette, nous demandâmes
deux verres de vin rouge.
Elle voulut payer. Puis elle
me demanda de la
raccompagner chez elle, rue Vallazze.
On comprenait ses paroles
et sa bouche
n’était plus
pâteuse. « Où as-tu été
pendant toute ma
vie… » Milan redevient muette
et infinie, disparaît avec
elle, en un lieu sombre
et humide qui dissout même
son nom,
qui nous engloutit dans le
sang sans musique. Mais nous deviendrons,
ensemble nous deviendrons
ce pleur
qu’un poème n’a pu dire,
maintenant tu le vois
et je le verrai aussi…
nous le verrons,
maintenant nous le
verrons… nous le verrons tous… maintenant…
… maintenant que nous
sommes sur le point de renaître.
(Milo De Angelis, Biografia
sommaria, Mondadori, Milano 1999)
© les auteurs et Circe
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