porta

porta
Daniela Iaria, "Attraverso la porta bianca-fiume", 39x41 cm, 2004.

mercredi 2 novembre 2016

Giancarlo Majorino


Né en 1928 à Milan, où il vit, Giancarlo Majorino a été enseignant, poète, critique, animateur culturel. Il a rassemblé son oeuvre poétique dans une Autoantologia (Garzanti "elefanti") en 1999 ; on retiendra seulement ici La capitale del nord (Schwarz, 1959), l'une des tentatives, avec La ragazza Carla de Pagliarani, d'exprimer un réalisme en poésie ; puis Lotte secondaire (Mondadori 1971), Provvisorio (id. 1984 - présentation dans Quelques autres Italies, n° sp. L.N.L. 1985), Tetrallegro (id. 1995). En 1977, une importante anthologie intitulée justement Poesie e realtà 1945-'75 (Savelli). Par la suite ont paru Gli alleati viaggiatori (id. 2001) et Prossimamente (id. 2004). Il a été rédacteur de plusieurs revues, dont "Il corpo" et "Incognita", et préside la Maison de la Poésie de Milan. En 2007, la ville lui a conféré sa médaille d'or (l'Ambrogino d'oro) pour l'ensemble de son oeuvre. Il vient de publier Slogan profondi, avec ses propres dessins (La vita felice, 2016).


.       . . .        avanti avanti avanti

en avant en avant en avant

ils continuent, implacables, contraints,
rase-mottes
pauvres crétins que nous sommes, entourés
de flots de pétrole, nous hurlant des je t’aime 

ô îles de gadoue
l’anarchie du globe, pelotes de laine défaites, 

répugnants abatis

tu répètes gestes libres tambour
répètes gestes libres répètes gestes libres répètes

répugnants abatis brinquebalants
tamtambour gadoueux tamtambour

mais toi / Bianca, tu le sais / que nous ne / nous verrons plus ? que nous finirons ron ron
moi ici toi là / trois mètres en dessous / toi bouche noire grande ou/verte comme
poupée noire / cassée pour toujours
un’ poupée / comme noire / cassée pour toujours
un’ poupée / comme noire / cassée pour toujours
tu répètes gestes libres tambour
répètes gestes libres répètes gestes libres répètes
toi la bouche noire grande ouverte
moi moi les dents et c'est tout
tu le sais Bianca ?
toi qui es l’amie d’Enrica
et hier nous parlions tout joyeux en grignotant la table fleurie
sous la lampe luisant d’une plurielle lumière 
table blessée       elle lumière

                                                                                (de : Provvisorio, 1984)




elle s'est jetée, dans l'obscurité, en arrière ;  
mon père l'a rejointe ;
couchés, ils s'éloignent clairs
dans la sombre, incertaine, prolongée soirée ;

d'autres fois on dirait qu'ils nagent dans la piscine
couverte, en une noire, chaude serre

qu'ils touchent un bord, l'autre, touchent
dégradés
c'est vraiment nuit
et ça semble une nacre

cadencés ils battent
mais, ils sont arrivés ?     

                                                                              (Textes épars, 1999)


© les auteursCIRCE



jeudi 6 octobre 2016

Italo Testa

Italo Testa (Castell'Arquato, 1972), philosophe de formation, vit à Milan. Il a publié plusieurs recueils de poèmes pour lesquels il a reçu de nombreux prix : Gli aspri inganni (Lietocolle, 2004), Biometrie (Manni, 2005), La divisione della gioia (Transeuropa, 2010, dont nous avions traduit des extraits), Luce d’ailanto (Marcos y Marcos, 2010), canti ostili (Lietocolle, 2007). Aux Beaux-Arts de Milan (Brera), il organise avec Margherita Labbe les rencontres internationales da>verso. Il co-dirige la revue de poésie L'Ulisse. Les textes ci-dessous (qui seront présentés à notre soirée de L'Autre Livre en janvier 2017) sont extraits de son dernier recueil Tutto accade ovunque (Nino Aragno, 2016).


Non ero io


1. ce n’était pas moi, tu vois, dans cette foule, ce n’étaient pas mes mains, qui se touchaient, ce n’étaient pas les mains, surtout ça, je le dis encore une fois, surtout ça, et je n’arrivais pas à les retenir, toutes ces images, à droite et à gauche, la tension qui monte, ce n’était pas moi, je te le répète, je ne l’aurais pas fait, je n’aurais pas poussé pour entrer, n’est-ce pas ? j’ai toujours été le même, celui que tu connais, les yeux fermés, la tête un peu penchée, ça ne pouvait vraiment pas être moi, traînant les pieds, avançant, parce que c’est ce qui compte terriblement, ce qui compte toujours, qui a fait quoi, qui s’est tourné et a répondu, qui a pris la pierre, l’a retournée entre ses doigts, cette fois-là aussi, je ne pouvais pas être ce type-là, la mèche ensanglantée, la tempe droite sur le pavé, ce n’était pas moi, je ne pouvais vraiment pas être ce type, qu’est-ce que j’avais à voir avec ça, dans le parking vide, derrière le distributeur, pour y faire quoi, non, crois-moi, ce n’était pas moi

[…]


4. c’est bon à savoir, c’est dans le gris, le gris fer, que tout se dégrade, c’est bon à savoir, la pacotille, les particules, le tracé sous-cutané, dans le gris fer, c’est le ton dominant, dans le gris, et la poussière, par exemple, sur les bords, la poussière dans les fissures, la poussière, par exemple, et tout le reste, c’est dans le gris, tu vois, la limaille, ça aussi, le trait, le ton dominant, c’est  là, dans le gris fer, on n’en sort pas, tout converge là, tout y revient, et le bourdonnement, le bourdonnent continu, des grands aspirateurs, les pales qui tournent, sans interruption, dis-je, sans interruption, jour et nuit, qu’est-ce qui tournoie, là dedans, qu’est-ce qui tournoie, sans interruption, là aussi, c’est le ton, le trait dominant, quelque chose comme une turbine, tu vois, quelque chose qui tourne, sans interruption, tu vois, dans le gris, dans le gris fer, c’est toujours là, dans l’air aussi, à cette hauteur, dans les spores, que tout, que tout converge, toujours là, dans le gris fer, c’est bon à savoir


5. à cette hauteur, ici, parfois, certaines choses seulement se montrent, certaines seulement,  les autres papillonnent, elles passent rapidement, et fuient, certaines choses seulement, si elles ne s’écartent pas de côté, si elles ne se dérobent pas, certaines choses seulement, avec tous les détails, les formes précises, les courbes, certaines choses seulement, et le reste non, regarde, certaines seulement, que tu peux compter, avec tous les détails, on les reconnaît, certaines seulement, à cette hauteur, les autres entrent, entrent et sortent, l’une après l’autre, elles ne s’arrêtent pas, certaines choses seulement, certaines seulement, dans notre champ de vision, et toujours les mêmes, n’est-ce pas, toujours les mêmes à cette hauteur, certaines choses seulement se montrent, il suffit d’un indice, et on les retrouve, et les intervalles, tu as vu, les intervalles et les cadences, suivent un rythme, tu as vu, qui se répète, un ordre, un battement, l’un après l’autre, ils reviennent, l’un après l’autre, comme si c’était, tiens, un refrain, comme si parfois, ici, à cette hauteur




 © les auteurs et CIRCE





jeudi 1 septembre 2016

Corrado Costa

Corrado Costa (Mulino di Bazzano, 1929 - Reggio Emilia, 1991), a été l'auteur d'oeuvres au caractère expérimental, comme le récit L'equivalente (Scheiwiller, 1969) ou les recueils de poèmes Pseudobaudelaire (Scheiwiller, 1964) et Le nostre posizioni (Geiger, 1972) dont sont tirés les textes traduits ci-dessous. Membre du Gruppo '63, il avait fondé avec Adriano Spatola et Giorgio Celli la revue Malebolge et fait partie de la rédaction de la revue Tam Tam



Deux s’arrêtent sur le pont

qu’attendent-ils, ils ont leur image, l’image
qu’ils ont
est immobile dans le fleuve dessous, en bas sur les eaux qu’est-ce
qu’ils attendent que disent-ils
va-t’en



L’ombre qui ne bouge pas d’un oiseau envolé

elle est partie elles ont été faites avec les ongles
ce sont les traces qui ont
été faites, elles indiquent qu’elle
est partie ou précisément est revenue
ici à l’endroit où elle avait été



Revoir un film

ils ont juste le temps tout juste
après elle s’en va
séparée de son ombre
ils ont juste le temps pour voir
qu’après quelques pas elle a fait quelques pas et s’en va
séparée de son ombre en marchant
dans le noir  




                                                                                                              © les auteurs et CIRCE






lundi 27 juin 2016

Valentino Zeichen

Poète et romancier, Valentino Zeichen (Rijeka, 1938), vit à Rome depuis les années cinquante. Dès son premier recueil, Area di Rigore (1974), il est apprécié par un poète comme Elio Pagliarani qui reconnaît en Palazzeschi et Gozzano ses « ancêtres » poétiques. Le ton distancié et ludique, l’ironie et le ton familier de sa poésie caractérisent également ses recueils successifs, parmi lesquels Ricreazione (1979), Museo interiore (1987), Metafisica tascabile (Mondadori, 1997), Ogni cosa a ogni cosa ha detto addio (Fazi 1997), Neomarziale (Mondadori 2006). Son dernier roman, La sumera (Fazi, 2015), a reçu aussi un très bon accueil.




Sémiotique

Comme le voyant rouge qui
s’allume sur le tableau de bord
et signale au conducteur
que l’essence est presque finie,
ainsi le sentiment
que je nourrissais pour toi
est sur réserve.

de Metafisica tascabile, (Mondadori, 1997)



Fouiller ou ne pas fouiller     

N’importe quel air oxyde
le mérite des découvertes.
Étranger, quand tu vois
des fouilles en cours
détourne ton regard
et dirige-toi ailleurs.
La vue de nouvelles ruines
fausse ta carte touristique
et n’élève pas d’un cran
l’échelle inatteignable
des vestiges retrouvés.
En notre absence
nous confierons le sous-sol
aux postes cosmiques
afin qu’il l’adressent
à une postérité inconnue,
pour qu’on se souvienne de nous,
selon le Canon Occidental.

de Ogni cosa a ogni cosa ha detto addio (Fazi 1997)



L’art des conserves

Il décline, l’été mûr
de fruits newtoniens
que la fée des confitures
conserve en pots stériles
aux emballages durables.
Alors que le cuisinier se plaint
des nourritures périssables
et des odeurs volatiles.
Que te souvient-il de l’enfance ?
des confitures, jamais des plats.
 


de Neomarziale (Mondadori 2006)



© les auteurs et CIRCE


jeudi 19 mai 2016

Amelia Rosselli

On ne présente plus Amelia Rosselli (Paris, 1930 - Rome, 1996), certainement parmi les poètes contemporains italiens les plus connus et aimés. Il importe toutefois de rappeler que CIRCE n’a pas cessé de s’intéresser à sa figure d’écrivaine multilingue dont on connaît en France au moins Impromptu (éd. bilingue par Jean-Charles Vegliante revue par l'auteur, Paris, Tour de Babel, 1987) ainsi que d’autres traductions de textes rares. Parmi les publications récentes, signalons l'édition trilingue d'Impromptu procurée par G.M. Annovi (Toronto, Guernica ed.) et le n° spécial de Nuovi Argomenti, printemps 2016, coordonné par Maria Borio.



Di sollievo…


De soulagement en soulagement, les bandes blanches les papiers blancs
un soulagement, de passage en passage une bicyclette toute neuve
avec l’eau de javel qui asperge le cimetière.

De soulagement en soulagement avec la veste blanche qui dépasse brunâtre
sur l’abîme, croyance, tatouages et rangées de téléphones, pendant que,
dans l’attente de M. le député, j’ouvrais ma veste. De maison en maison

télégraphe, une bicyclette en plus, s’il vous plaît, si vous pouviez en quelque
sorte pousser. De soulagement en soulagement poussez ma bicyclette
jaune, ma fumée transitive. De soulagement en soulagement tous

les papiers épars au sol ou sur la table, lisses afin de croire
que le futur m’attend.

Que le futur m’attende ! que m’attende, que m’attende le futur
biblique en sa grandeur, un sort tordu je ne l’ai pas trouvé
en faisant le tour des boucheries.




Forse morirò…


Peut-être je mourrai, peut-être je te laisserai ces
petits papiers, en souvenir : ne distribue point 
de pensées dans les sylves, aux pauvres, mais aux
riches, offre en don tout mon sang.

Et mon sang en riches flots refuse
d’être surpris : promiscuité aux voisins
ou une selle en sylve. Serre autour                     
de moi ta main fleurie, repars pour
un autre cas de fioriture exsangue, je
n’ai jamais promis, permis, d’être
celui qui languit.

Mais sur le chemin de la vie il est une bataille
De petits chiens, spectaculaire éventail à
mes condoléances. Attelle encore le char
sur mes lèvres, qui en condescendant à
parler, étranglent, le sang, la vision
d’un inceste de sourires, promiscuités
indirectes imperfections. Tant de causes à
mon déguisement ambigu : un petit ventre
qui respire, une voix qui se tait, et l’aspirine
négligée qui rappelle : la mort est une douce
compagnie, elle te retire, en dehors des aspirations.

Morte j’engage le vers traumatologique
à contenir ces mots : écris-les sur ma 
tombe perdue : « elle n’écrit pas, elle meurt
juchée sur le panier de choses indigestes
incertaines ses manies ».

Incertaines ses prétentions, et la floraison en
deuil, met en garde. Mitraillée par un fleuve
de mots, elle argue, choisit une voie, non
conforme à ses dextérités, s’il en était
pour contribuer à la grande réforme des pensées
si tenaces. Elle pose sa main droite sur le volant
le brise et fluette s’envole pour les magnifiques
fleuves.




Serie ospedaliera (1963-1965)

© les auteurs et CIRCE